Conflit foncier à Edéa 1er : Au cœur d’une bataille des « shérifs »
Dans cette localité, la communauté s’oppose à l’opération de replanting initié par la Société des palmeraies du Cameroun (Socapalm), une agro-industrie par ailleurs accusée d’accaparement de leurs terres ancestrales et réclame justice face à ce qu'elle qualifie de spoliation. De son côté, la Socapalm affirme restée attachée à un dialogue constructif avec les communautés riveraines et les autorités locales, dans le respect du cadre légal et des droits de chacun. Elle soutient par ailleurs avoir entrepris des actions visant à maintenir une communication ouverte et apaisée avec l’ensemble des parties prenantes dès les premiers signes de tension à Apouh. Ce document met également en lumière le rôle trouble des pouvoirs publics dans la résolution du conflit foncier qui oppose les riverains d’Apouh à Ngoh à la Socapalm et propose des voies de sortie de cette crise qui perdure alimentant des tensions sociales pourtant évitables.

Publier pour la première fois par LE MESSAGER N° 8515 du Mardi 13 mai 2025
1- Apouh à Ngoh sous les palmiers de la discorde
25 avril 2025 ! Sous un ciel encore humide des pluies de la veille, le village d’Apouh à Ngoh, dans l’arrondissement d’Édéa 1er, département de la Sanaga-Maritime, région du Littoral au Cameroun, est le théâtre d’une tension palpable entre ses habitants et la Société des palmeraies du Cameroun (Socapalm). Les palmiers qui entourent le village ne symbolisent pas la prospérité mais plutôt l’étouffement, comme l’exprime Félicité Hortense Bissou, l’une des habitantes furieuses. « On n’a plus d’espace pour respirer », fulmine-t-elle en pointant les plantations qui encerclent le village. La population accuse la Socapalm d’avoir occupé illégalement 90 % des terres du village, les privant d’espaces pour l’agriculture et la vie. « C’est ici ! C’est ma sœur qui se débrouille dans les pierres pour essayer de trouver à manger. Et c’est ça que Socapalm fait filmer par ses journalistes pour dire qu’il fait des choses pour nous ? », interroge-t-elle furibonde. Dans ce paysage rocailleux, où quelques plants de maïs tentent de survivre, les témoignages des riverains révèlent une situation dramatique. Laquelle s’est empirée depuis que la Socapalm a décidé de davantage marquer son territoire par l’ajout des tranchées.
Veuve Patience Emilienne Ndongo, mère de quatre enfants, raconte les humiliations subies. « Si je traverse pour ramasser les fruits tombés des palmiers, on m’arrête et m’amène à la Gendarmerie où je dois payer une amende de 50 000 Fcfa. C’est la même chose pour ma fille. C’est comme ça qu’on nous viole là-bas. J’en ai été victime et ma fille de 15 ans a échappé à une tentative de viol », rapporte cette dernière avant de raconter les incidents survenus les 25 et 26 mars 2025. « Dernièrement, nous sommes partis où ils sont en train de faire pousser les palmiers. Ils ont fait venir la gendarmerie, les militaires pour nous taper. J’ai été victime. On nous a taper là-bas, moi et ma coépouse ». Et de continuer : « Regardez où nous travaillons, sur les rochers. Et c’est là qu’ils montrent qu’ils nous ont laissé le terrain. Voilà les tranchées ! vous-même vous voyez, les mottes de terre. On se débrouille pour faire les champs sur les rochers, et on nous interdit de demander ce qui nous revient de droit », confie cette veuve. A entendre les riverains, même les troupeaux de bovins qui appartiennent à la Socapalm et détruisent les maigres cultures des villageois, semblent avoir plus de considération.
Procédure foncière controversée
« C’est comme ça qu’ils détruisent le peu de de champs que nous avons », dénonce Félicité en faisant remarquer un troupeau qui broute paisiblement dans le champ d’un villageois. A la vue des témoins indésirables, leur berger s’empresse de les conduire ailleurs. L’inquiétude plane quant à l’avenir. D’autant plus qu’entre l’agroindustriel et la communauté, le dialogue semble rompu. Selon les habitants, la Socapalm exploite ces terres depuis des décennies sans titre foncier valide, profitant de la complicité de certaines autorités administratives. « Ils ont planté sans autorisation, chassé nos ancêtres et aujourd’hui, ils veulent régulariser un dossier entaché d’illégalité », dénoncent ces habitants. La superficie querellée est estimée à 874 ha. Les habitants, soutenus par leur chef traditionnel, exigent une restitution partielle des terres et un dialogue transparent. Malgré les recommandations du ministère des Domaines, du Cadastre et des Affaires foncières (Mindcaf), les négociations restent bloquées.
Des accusations de corruption et de pressions administratives ternissent davantage la situation. Sa majesté Mercure Ditope Lindoume, le chef du village, affirme avoir été approché avec ses notables pour signer des documents en échange d’argent. « Nous avons refusé. Si nous avions signé, nos terres auraient été définitivement perdues », explique-t-il. De son côté, Cyrille Yvan Abondo, le préfet de la Sanaga-Maritime l’accuse de vouloir extorquer de l’argent à la Socapalm en conditionnant sa signature des procès-verbaux de demande de concessions à la réception d’une somme de 50 millions de Fcfa. Une accusation que ce dernier juge infondée, promettant de saisir les juridictions compétentes pour laver l’affront. Entre ces autorités, la tension a atteint son paroxysme. Dans la perspective de trouver une voie de sortie, nos tentatives pour joindre le préfet sont restées vaines. Face à toutes ces allégations, la Socapalm défend son approche qu’elle qualifie de « gestion responsable ». Sa porte-parole, Rouselle Barbara Lienoue, insiste sur la mise en place de plateformes de dialogue depuis 2016 et déplore la fermeture des populations à de nouvelles négociations. Mais pour les habitants d’Apouh, ces déclarations relèvent d’une stratégie de communication déconnectée de la réalité.
Des possibles voies de sortie
Malgré l’ampleur du conflit, le chef Ditope croit toujours en une résolution pacifique. « Nous ne combattons pas la Socapalm, nous voulons juste qu’elle reconnaisse les difficultés qu’elle impose à notre communauté et qu’elle nous laisse un espace vital. ». Ce bras de fer, où se mêlent accusations de corruption, violations des droits humains et enjeux environnementaux, illustre les souffrances d’une population qui lutte pour sa survie. « Sans la terre, on n’est rien. Nous accouchons et nos enfants grandissent. Ils font aussi des enfants. Si rien n’est fait, bientôt nous allons nous battre entre nous pour un lopin de terre. Et quand nous tendons les mains au gouvernement, c’est le fouet qu’on reçoit alors que nous réclamons juste notre espace vital », s’insurge Félicité. « On ne demande rien d’autres que les terres pour cultiver la nourriture et pour construire pour nos enfants. Ici chez nous, on n’a pas de terrain. Nous nous débrouillons en bordure de la route comme la Socapalm a mis les tranchées. On souffre beaucoup », renchérit veuve Emilienne Ndongo.
« La population d’Apouh augmente. J’ai onze enfants. Excepté les filles qui pourraient aller en mariage, les autres auront besoin de se construire. Où est-ce qu’ils le feront quand la Socapalm prend tout ? », se demande Etamane Etamane, un notable. Pour le chef, la situation du village Apouh est « exceptionnelle » et doit être traitée comme telle. « Le village Koukoué, par exemple, premier village au nord, n’a pas un problème en tant que tel, avec la Socapalm. Dehane qui a signé ces demandes de concessions, a eu 50 hectares de terre qui leur a été rétrocédés. Or c’est un village artificiel créé de toute pièce dans la plantation d’hévéa en 1972. Personne là-bas ne peut vous que ses arrières grands parents ont été enterrés là. Même aujourd’hui, quand ils perdent quelqu’un, ils retournent dans leur village pour l’enterrer. Or Apouh qui va jusqu’au bord du Nyong est antérieure à la plantation », argumente-t-il se demandant pourquoi la Socapalm peine à leur répondre favorablement.
Nadège Christelle BOWA
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