ENQUETE

2- Débat foncier : Une rétrocession de terres incertaine

Les évènements des 25 et 26 mars 2025 dans la localité d’Apouh mettent à nu un malaise profond entre cette communauté et l’agro-industrie, Socapalm. Les tensions prennent racine dans une procédure foncière jugée opaque.

Publier pour la première fois par LE MESSAGER N° 8515 du Mardi 13 mai 2025 

Joint par mail au sujet des accusations des riverains d’Apouh à Ngoh, Rouselle Barbara Lienoue, Porte-parole de la Socapalm défend cette compagnie, tout en invitant à la vérification de l’authenticité de ces titres fonciers auprès de l’administration camerounaise. « Les titres fonciers de la Socapalm datent des années 60 et, à cette époque, ces titres étaient détenus par la SPROA, devenue ensuite SPFS, Société des Palmeraies de la Ferme Suisse. Ils n’ont été acquis par la Socapalm qu’avec la fusion et l’absorption de la SPFS en 2010. Ces titres fonciers n’ayant subi aucune modification depuis 1960, et compte tenu du fait que, par définition, les titres fonciers sont invariables, définitifs et inattaquables, ceux-ci ne peuvent être considérés comme faux ». Mais les populations riveraines d’Apouh à Ngoh dont la colère populaire trouve son point d’orgue en mars 2025 lors de manifestations violemment réprimées, ne sont pas du même avis.

Selon les riverains, la Socapalm exploite les terres depuis des décennies sans titre valide et avec la complicité de certaines autorités administratives. « Ce n’est pas un combat d’aujourd’hui, nous demandons de l’espace vital depuis », clament-elles. Janvier Etamane Etamane, notable du village Apouh argumente à la lumière d’une lettre ayant pour objet : « Mise en œuvre des recommandations de la mission de l’équipe du Mindcaf dans le département de la Sanaga-Maritime en septembre 2022 » du Mindcaf Eyebe Ayissi au Prefet du Département de la Sanaga Maritime. « L’état des lieux instruit par le Mindcaf a révélé des dépassements sur les superficies exploitées par la Socapalm par rapport aux titres fonciers. En outre, aucun de ces titres fonciers ne contient des éléments qui font la fiabilité d’un vrai titre foncier. C’est-à-dire, ça n’a pas de plan de masse ; De procès-verbal de bornage. Quel est ce titre foncier qui est dépourvu de cartes ? Quel est ce titre foncier qui n’a pas de limite de départ et de fin ? On nous a appris que l’océan est une immense étendue d’eau sans limite. Donc leur titre foncier contient des immenses superficies étendues de terre sans limite ».

Curieux silence des pouvoirs publics

Pour lui et ses pairs : « Le ministre dit qu’on doit reconstituer les limites pour que ces autres superficies qui restent, qu’on les donne aux communautés villageoises. Il refuse de le faire. La lettre date de 20 septembre 2023, le préfet attend quoi ? », interroge-t-il. Le chef traditionnel du village, sa majesté Ditope, affirme avoir refusé de signer des documents présentés en échange d’argent. Pour les habitants, il s’agissait d’un piège visant à légitimer une occupation irrégulière. De son côté, la Socapalm revendique une gestion responsable conforme aux standards internationaux et affirme avoir engagé, depuis 2017, une procédure de clarification foncière en collaboration avec le ministère des Domaines et les autorités locales. Cette initiative, incluant des cartographies participatives et des concertations sur le terrain, aurait révélé à la fois des débordements de la part de l’entreprise et des empiètements extérieurs, selon les rapports remis au Mindcaf.

La restitution des terres aux communautés reste incertaine. La Socapalm assure qu’elle ne peut rétrocéder directement les parcelles : « La Socapalm est locataire des terres auprès de l’État et, à ce titre, elle n’est pas habilitée à rétrocéder des terres à des tiers », affirme la Porte-parole. Elle promet néanmoins de restituer à l’État les surfaces exclues de son bail, laissant à ce dernier la responsabilité d’un éventuel transfert aux populations. « En tant que locataire et dans le cadre du processus de révision de ses surfaces en bail, la Socapalm prévoit, à la fin des travaux, de restituer à l’État du Cameroun, propriétaire des terres, les surfaces sorties du bail. Comme expliqué plus haut, seul l’État pourra décider d’une éventuelle restitution des terres aux communautés dans le besoin ». Une promesse qui ne rassure pas les villageois, échaudés par des années d’attente et de méfiance. Pour le moment, le dialogue semble rompu. La Socapalm affirme rester ouverte à la discussion, mais les habitants d’Apouh, lassés, réclament des actes concrets. Malgré les blessures, le chef Ditope garde foi en une issue pacifique. « Nous ne combattons pas la Socapalm, nous voulons juste qu’elle nous reconnaisse un droit à l’existence », fait-il savoir.

Joignant leur voix à celles des populations oppressées, des organisations non gouvernementales telles que Greenpeace Afrique, observent : « La population de Apouh à Ngog est aux abois depuis plusieurs années. Les conflits fonciers existant entre les communautés et les investisseurs détériorent la paix sociale et ne favorisent pas les investissements. Il est plus que temps que les autorités s’impliquent dans la résolution de ce conflit en prenant en compte les intérêts de chaque partie, mais surtout en considérant le besoin en terre des riverains », recommande Stella Tchoukep, chargée de la campagne forêt chez Greenpeace Afrique. Pour la première de toute son histoire, commente-t-elle, « Le Cameroun s’est engagé dans un processus fondamental à savoir : l’élaboration de la politique foncière. Il y a également la réforme foncière en cours depuis 2011. Ce sont là des opportunités uniques pour réparer les dommages déjà causés et jeter les bases d’une cohabitation saine entre les investisseurs et les riverains. Ceci est nécessaire parce que les investisseurs ont besoin des terres traditionnelles des communautés rurales pour faire du profit. Leur profit ne peut et ne doit pas se faire au détriment des populations locales ». Dans ce bras de fer, la terre ne représente pas seulement un patrimoine, mais la dignité d’une communauté en quête de reconnaissance.

NCB et Michel Nonga

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