Liberté d’information et exercice du journalisme en Afrique : quels cadres normatifs pour une presse engagée ?
Bien que le cadre normatif entourant la liberté d’information en Afrique ait connu des évolutions notables, son application effective demeure sujette à de nombreuses contraintes. Panorama avec Dr. Maxime FOUDA, chercheur-consultant camerounais, qui analyse les rapports entre régulation juridique et exercice du journalisme sur le continent. À travers une lecture critique des mécanismes en place, il questionne les défis auxquels sont confrontés les professionnels des médias et explore les perspectives pour une presse libre et engagée.

L’exercice de la profession de journaliste serait-il aujourd’hui un mineur en voie d’émancipation ? Une réponse négative serait sans doute précipitée, tout comme l’affirmation contraire ne saurait être totalement dénuée de fondement. Une analyse rigoureuse s’impose donc.
La liberté (de mouvement, de pensée et d’expression) constitue le socle des droits fondamentaux de la personne humaine. Issue du principe de liberté d’expression, l’accès à l’information est indissociable de l’exercice du métier de journaliste. Consacré par l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) et réaffirmé par l’article 9 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), ce droit fondamental se heurte néanmoins à de multiples contraintes contextuelles.
Entre énoncé proclamatoire et intérêts juridiquement menacés : une liberté fragilisée
Par ailleurs, la jouissance de la liberté d’information par les journalistes révèle une fragilité des cadres normatifs régulant le droit à l’information au sein de l’Union africaine. Il n’est pas rare d’observer des atteintes au droit d’autrui, à la sécurité collective et à la morale publique, mettant en évidence la nécessité d’une régulation plus efficace et adaptée aux réalités sociopolitiques du continent.
Tantôt ajustée en fonction des intérêts des gouvernements ou des individus au pouvoir, tantôt contournée en raison des lacunes juridiques, la frontière de l’exercice du journalisme sous l’angle de la liberté d’information demeure d’une complexité manifeste. Les garanties de l’exercice régulier de cette liberté, lorsqu’elles existent, souffrent d’un manque d’harmonisation entre les différents territoires.
Cette réalité est confirmée, car seulement 50 % des citoyens africains par exemple estiment pouvoir accéder facilement aux informations détenues par les autorités publiques. Cette donnée met en lumière les disparités entre les États en matière de transparence et souligne les obstacles persistants à une véritable liberté d’information. Malgré l’existence de lois sur l’accès à l’information dans divers États,, leur mise en œuvre reste souvent limitée, laissant place à des pratiques restrictives qui entravent non seulement le travail des journalistes, mais aussi la circulation de l’information essentielle à la vie démocratique.
Entre restrictions juridiques et pressions politiques : une liberté sous tension
Dans l’Union africaine, la liberté d’information ne se résume pas à un principe théorique : elle est constamment éprouvée par des dispositions souvent floues, des cadres juridiques disparates et des décisions politiques fluctuantes. Alors que certains États affichent une volonté de garantir un accès libre et équitable à l’information, d’autres maintiennent des mécanismes de contrôle qui limitent l’indépendance des médias et la transparence démocratique.
L’évolution rapide des technologies et la digitalisation des communications auraient dû insuffler une liberté de la presse responsable, mais elles ont surtout offert de nouveaux outils de surveillance et de restriction. Les lois sur l’accès à l’information, lorsqu’elles existent, peinent à suivre les mutations numériques et ne protègent pas suffisamment les journalistes face aux formes modernes de censure.
Selon le Classement mondial de la liberté de la presse 2024 publié par Reporters sans frontières (RSF), plusieurs États africains enregistrent un délitement de l’environnement médiatique, illustrant les tensions persistantes entre régulation politisée et liberté journalistique. Ce rapport met en évidence les restrictions croissantes imposées aux journalistes, notamment par le biais de lois sur la cybersécurité qui, sous prétexte de protéger l’ordre public, limitent fortement la liberté d’expression en ligne dans plusieurs États africains.
La réponse réside sans doute dans une harmonisation plus efficace des cadres normatifs, une meilleure adaptation aux réalités numériques et un engagement plus ferme des États en faveur de la liberté d’expression comme pilier du développement…
Un exemple frappant est celui de Madagascar, où la loi sur la cybercriminalité et le Code de la communication ont conduit à une autocensure généralisée parmi les journalistes, par crainte de poursuites judiciaires. Ces lois incluent des dispositions vagues telles que « attaques contre la sécurité de l’État », « diffamation » et « diffusion de fausses nouvelles », dont l’opportunité de la mise en œuvre est laissée à l’autorité ; et sont souvent outils d’intimidation et sanction des médias.
Par ailleurs, selon le rapport 2024 de CIPESA sur la liberté d’Internet en Afrique, 72 % des pays africains ont adopté des lois sur la cybercriminalité, mais beaucoup d’entre elles sont critiquées pour leur manque de protection des journalistes et leur utilisation comme instrument de surveillance et de répression.
De plus, dans un contexte où des institutions (généralement fortes) et les libertés (enchaînées) ne sont pas érigées au même seuil de majesté et la stabilité politique prime sur l’ouverture démocratique, l’exercice du journalisme reste entravé par des arrestations arbitraires, des intimidations et des pressions gouvernementales. Cette situation pose un défi majeur : comment concilier la protection de la liberté d’information avec les exigences de sécurité et de préservation de l’ordre public ?
La réponse réside sans doute dans une harmonisation plus efficace des cadres normatifs, une meilleure adaptation aux réalités numériques et un engagement plus ferme des États en faveur de la liberté d’expression comme pilier du développement d’une « humanocratie substantive »− qui désigne un modèle démocratique où l’être humain est au cœur du système politique, économique et social, non pas comme un simple citoyen doté de droits, mais comme l’élément central des décisions publiques et institutionnelles.
Maxime FOUDA