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Dikoukou : là où l’art s’incube, s’affirme et se transmet

À Pointe-Noire, en République du Congo, La Fabrique Dikoukou s’impose comme un foyer d’expérimentation et de structuration pour les jeunes artistes congolais. Portée par Sabrina Delenne, déléguée générale, cette initiative soutenue par l’Ambassade de France au Congo conjugue formation, incubation et plaidoyer culturel. Rencontre avec une bâtisseuse d’élan, qui croit en la puissance du collectif et en l’art comme acte politique.

En quelques mots, quelle est la genèse de la Fabrique Dikoukou ?

La Fabrique Dikoukou est un projet lancé initialement par l’Institut français du Congo et l’Ambassade de France au Congo, dans l’objectif de contribuer au développement économique et à la professionnalisation des acteurs et actrices des industries culturelles et créatives (ICC) et de participer à leur structuration, au Congo, et particulièrement à Pointe Noire et dans sa région. En effet, les créateurs et créatrices congolais sont porteurs d’innovation, mais sont peu considérés et accompagnés, font face à l’isolement, l’informalité, au manque de formations et de ressources humaines et financières et aux difficultés d’accès aux marchés internationaux. Les secteurs des ICC sont peu ou pas structurés au Congo, donc le marché également, ce qui ne permet pas aux entrepreneurs de lancer des projets stables et pérennes et générateurs de revenus réguliers. Ils manquent aussi de politiques publiques adaptées. Il est crucial de mettre en place des cadres réglementaires et des politiques culturelles nationales pour structurer et soutenir ces industries (il n’existe pas encore de statut pour les artistes et il serait intéressant de refondre la gouvernance du droit d’auteur par exemple).

Créer un incubateur des ICC au Congo répondait donc à ces besoins identifier : former et professionnaliser les porteurs et porteuses de projets, leur permettre de s’autonomiser en se structurant, en générant des revenus et en se constituant un réseau professionnel, et ainsi de pérenniser leur structure.

La Fabrique Dikoukou est aujourd’hui une association de droit congolais financée par l’Ambassade de France au Congo et travaillant pour s’autonomiser et perdurer. Depuis sa création en 2023 et l’ouverture de son lieu début 2024, elle soutient des projets en incubation, organise des formations et masterclass et accueille des événements artistiques et culturels.

Le mot “fabrique” évoque à la fois l’artisanat, l’expérimentation et la transmission. Comment ce terme incarne-t-il votre démarche ?

Vous avez cerné l’essence de Dikoukou ! Les deux termes « fabrique » et « dikuku » n’ont pas été associés par hasard. Le premier fait justement référence à l’expérimentation et la transmission, mais aussi à la construction, la création et l’innovation. Le second, quant à lui, évoque le concept riche du foyer, qui un double sens : c’est à la fois cet instrument fondamental de la cuisine et la maison, la famille. Les deux mots côte à côte symbolisent donc la transformation, la création, la protection, le partage et le collectif. Qui sont les valeurs de l’association.

Quels sont les profils que vous aimez voir graviter autour de Dikoukou ?

L’incubateur travaille principalement avec de jeunes artistes, entre 18 et 35 ans, qui représentent une génération d’artistes profondément engagés dans l’éclosion et la structuration de leur secteur. Souvent autodidactes et rarement accompagnés, ils et elles témoignent d’une passion, d’une détermination et d’une combativité remarquables.

Dans un contexte africain souvent marqué par la précarité des structures culturelles, comment parvenez-vous à maintenir l’élan, la cohérence et l’impact ?

La Fabrique Dikoukou a pour l’instant la chance d’être financée par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangère via l’Ambassade de France au Congo, ce qui lui permet de développer sereinement l’incubateur et les actions associés, et de tester de nouvelles formes d’appui aux créateurs et créatrices. En revanche, le challenge est justement de réussir à pérenniser cela, dans un contexte où il n’existe pas de financement national pour les associations ni de politique culturelle claire.

La structuration des secteurs des ICC et leur mise en réseaux est également un défi de taille. Participer au plaidoyer auprès des pouvoirs publics pour une plus grande implication de leur part dans les ICC, afin qu’elles soient reconnues et accompagnées administrativement et légalement, est aussi au coeur des actions de Dikoukou.

Personnellement, je maintiens l’élan par le dynamisme et la créativité des artistes que je rencontre : dans un contexte difficile, l’impossible devient possible, et les difficultés se transforment en innovation !

Y a-t-il un projet, une œuvre ou une rencontre qui vous a particulièrement marquée dans l’aventure Dikoukou ?

Assister à l’éclosion des structures incubées est très marquant et satisfaisant.

Encourager Merveille Biangani, initialement incubée dans le domaine du management et de la production artistiques, à se révéler comme autrice et la voir participer au programme de résidence Découvertes 2025-2026 des Francophonies en France est très émouvant.  Regarder la série « Mada » sur Maboké TV alors qu’elle a été réalisée par Orisha Films, une boîte de production faisant partie de la première cohorte d’incubation de la Fabrique, l’est aussi. Tout comme être témoin de la remise du Prix Découverte des Ateliers Sahm à Mec Handicapé lors de la 11ème édition de la Rencontre internationale d’art contemporain à Brazzaville, artiste visuel incubé à Dikoukou avec son collectif Mpévé.

Crédits: Parc National de Conkouati-Douli

Cela prouve de nouvelles fois que l’accompagnement de Dikoukou permet aux jeunes artistes de s’épanouir et de déployer leurs ailes plus sereinement et que la structuration de leurs projets est indispensable pour gagner en visibilité et en reconnaissance.

Comment imaginez-vous l’évolution de Dikoukou dans les deux années à venir ?

Le projet actuel a l’ambition de contribuer au développement des ICC au Congo, en s’appuyant notamment sur l’écosystème de la diaspora, très solide en France. De nombreux artistes congolais sont reconnus en France et y ont développé une culture (souvent musicale) unique, tels qu’Aya Nakamura, Youssoupha  ou Djadju. Des associations de la diaspora appuie également la coopération et le développement des ICC dans leur pays d’origine, à l’image des Ateliers citoyens du Congo, partenaire de Dikoukou depuis ses débuts. Inciter les français d’origine congolaise à s’implanter sur le marché congolais et s’appuyer sur ces réseaux sera déterminant pour le développement de l’écosystème culturel et créatif congolais.

Lorsque le statut des artistes sera reconnu et cadré au Congo, que les structures incubées génèreront régulièrement des revenus et de l’emploi, et que la MansA (Maison des mondes africains récemment ouverte à Paris), le Festival Ecrans Noirs à Yaoundé ou la Biennale de l’Art contemporain de Dakar programmeront des artistes accompagnés par la Fabrique Dikoukou, nous pourrons dire que nous avons bien avancé !

Enfin, si vous deviez transmettre une seule chose à celles et ceux qui vous suivent ou vous rejoignent, quelle serait-elle ?

Soyons curieux, engagés et pas timides. L’art est politique, assumons-le et fonçons !

Propos recueillis par Baltazar ATANGANA

dit Nkul Beti, critique littéraire et écrivain

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