Cameroun : Un cadre juridique défaillant au cœur de la crise des déchets
Face à l’urbanisation galopante, l’État tente de repenser la gouvernance, les infrastructures et la valorisation des déchets à travers deux jours d’États généraux décisifs.

La ville de Yaoundé, tout comme Douala, subit de plein fouet les effets d’une urbanisation rapide. Chaque année, environ six millions de tonnes de déchets y sont générées, dont 600 000 tonnes de plastique. Cette masse pose de graves problèmes de santé publique, de pollution des eaux et d’obstruction des drains, favorisant la prolifération des maladies. « Les déchets non traités constituent un potentiel inexploité pour le développement, à travers le recyclage et la valorisation énergétique. Pourtant, les infrastructures sont largement insuffisantes et les pratiques de tri quasi inexistantes», fait savoir le Pr Raoul Domingo Ayissi, directeur de l’École nationale supérieure polytechnique de Yaoundé, lors de la leçon inaugurale. Le Cameroun souffre d’un déficit criard de centres de tri et d’usines de traitement modernes. À cela s’ajoute une faible sensibilisation au recyclage, une éducation environnementale marginale et un secteur informel laissé à lui-même. Cette situation révèle une opportunité économique non négligeable ,la création d’emplois dans la collecte, le tri, la transformation des déchets, et même la production de pavés à partir du plastique recyclé ou de compost à partir des déchets organiques.
Deux jours pour une réponse
C’est fort de ce constat que les États généraux sur la gestion des ressources en déchets urbains se tiennent depuis hier à Yaoundé, à l’initiative des ministères de l’Habitat et du développement urbain(Minhdu) et Décentralisation et du développement local(Minddevel). François Ossama Ossama, conseiller technique n°2 au Minhdu, a présenté les conclusions de la consultation nationale menée du 15 au 30 avril, ayant mobilisé plus de 200 contributions d’acteurs variés, de la société civile aux entreprises spécialisées.Il en ressort un constat, « il n’existe pas de loi spécifique sur l’hygiène et la salubrité. Il est temps d’aller vers un véritable code de gestion des déchets urbains. » En plus du vide juridique, la faible application des textes existants et l’absence de système statistique fiable rendent difficile toute planification budgétaire rigoureuse. Le programme des deux jours est dense. Après l’installation des participants, une plénière réunit experts et officiels autour des principales actions issues des précédentes réflexions. Suivent des retours d’expériences, notamment celui de la ville de Dschang, avant la discussion générale. Trois ateliers sont ensuite organisés : l’un sur la gouvernance et le cadre juridique, un second sur les infrastructures techniques et opérationnelles, et un troisième sur la valorisation des déchets et l’économie circulaire. Un forum sur la participation citoyenne complète les réflexions. La journée de ce 7 mai prévoit une visite du centre de prétraitement de bouteilles plastiques, suivie d’une table ronde de haut niveau sur le financement, puis la consolidation et la lecture de la feuille de route de Yaoundé.
Volonté de rupture à la mairie de ville de Yaoundé
Marie Solange Mbang, directrice de l’urbanisme à la mairie de ville de Yaoundé, a décrit les limites du système actuel. « La ville est découpée en sept communes, dont quatre confiées à Hysacam. Le reste peine à trouver preneur. Trois projets de valorisation par pyrolyse sont en maturation. Nous attendons des financements d’environ 70 milliards Fcfa pour cinq ans », explique-t-elle. Elle déplore par ailleurs le « saupoudrage budgétaire » entre collectivités, qui freine les investissements lourds dans les grandes capitales. La mairie appelle à une politique quinquennale cohérente fondée sur des droits d’assise, pour financer les centres de transfert et de traitement. Le foncier, également, pose problème, « Yaoundé est saturée. Il nous faut de grands espaces pour construire de nouvelles décharges. La décharge de Kolfoulou est arrivée à saturation depuis 2023. » Les marchés urbains, générant la plus grande part des déchets, posent également un défi logistique quotidien. « Les entreprises doivent faire au minimum deux passages par jour », explique-t-elle. Ces États généraux ambitionnent donc de redessiner le visage de la gestion des déchets au Cameroun, en posant les jalons d’une gouvernance claire, de financements structurés et d’un secteur de valorisation des déchets intégré dans l’économie circulaire. En toile de fond, une urgence sociale, environnementale et sanitaire à laquelle il devient impensable de ne pas répondre.
Michel NONGA