Femmes sans terres, communautés en péril : L’urgence d’une gouvernance foncière inclusive au Cameroun
Baltazar ATANGANA, expert en genre et développement, analyse l’impact du changement climatique sur les dynamiques foncières dans la plaine de Waza-Logone, située dans l’Extrême-Nord du Cameroun. En mettant en évidence les inégalités croissantes et les défis structurels liés à l’accès à la terre, il explore les pistes de réforme les plus adaptées pour garantir une gouvernance foncière inclusive et résiliente face aux crises environnementales au Cameroun.

L’accès des femmes aux terres : une vulnérabilité structurelle aggravée par le climat
La plaine inondable de Waza-Logone est une zone stratégique pour l’agriculture et l’élevage en raison de ses ressources hydriques et de ses terres fertiles. Pourtant, les transformations climatiques bouleversent l’équilibre écologique et économique local, accentuant les disparités foncières.
Bien que la législation camerounaise reconnaisse théoriquement l’égalité d’accès à la propriété, la réalité montre que les femmes restent largement exclues des processus d’attribution foncière. Ce décalage entre les textes et les pratiques affecte non seulement leur sécurité économique, mais fragilise aussi l’ensemble du système de gouvernance des ressources naturelles du pays. Dans un contexte où la régularité des inondations et la diminution des terres exploitables compliquent les stratégies de résilience, ces exclusions deviennent un frein au développement local.
Au Cameroun en général, en particulier dans les zones rurales comme la plaine de Waza-Logone, la gestion foncière repose sur des systèmes communautaires, où les femmes ne bénéficient souvent que de droits d’usage précaires, sans garantie de continuité. Seulement 13 % des femmes rurales en Afrique subsaharienne possèdent des terres en leur nom propre, malgré leur rôle central dans la production agricole. On note, par exemple au Cameroun, que près de 80 % des terres agricoles sont détenues par des hommes, laissant les femmes dans une situation de dépendance économique et sociale. De plus, des études montrent que seulement 8 % des femmes au Cameroun détiennent un titre foncier, contre près de 60 % des hommes. Ce déséquilibre ne concerne pas seulement les terres privées, mais aussi l’accès aux terres collectives, pourtant centrales dans la gestion des ressources rurales.
Changement climatique et précarisation des communautés de waza-Logone
Le changement climatique modifie profondément les dynamiques hydrologiques de la plaine de Waza-Logone, perturbant les cycles de crue et de décrue essentiels à l’activité agricole. Une variabilité accrue des précipitations entraîne des sécheresses prolongées et des inondations imprévisibles, compromettant la fertilité des sols et l’accès aux terres exploitables. Selon le Rapport Mondial sur les Terres et les Eaux de la FAO, les pertes agricoles dues aux changements climatiques en Afrique subsaharienne pourraient atteindre 20 à 30 % d’ici 2050, affectant principalement les zones rurales comme Waza-Logone.
Les femmes rurales de Waza-Logone, dont les activités agricoles et pastorales dépendent fortement de ces terres, voient leurs moyens de production se réduire drastiquement. Elles sont aussi les plus exposées à la perte de terres en raison des régimes fonciers traditionnels qui leur offrent peu de droits sécurisés.
Parallèlement, l’expansion des projets agro-industriels et extractifs aggrave l’accaparement des terres, au détriment des populations locales dépourvues de titres fonciers sécurisés. Plus de 60 % des terres exploitées par des entreprises agro-industrielles dans la zone septentrionale du Cameroun ont été acquises sans consultation préalable des communautés locales, exacerbant les tensions sociales et les conflits d’usage.
Vers une réforme foncière adaptée aux réalités locales
Pour garantir une gouvernance foncière plus équitable au Cameroun et par ricochet dans les zones rurales comme waza-Logone, il est impératif d’intégrer des réformes qui répondent aux réalités locales et s’attaquent aux véritables obstacles structurels. Cela pourrait passer par :
Reconnaissance officielle des régimes fonciers coutumiers : Actuellement, la législation camerounaise repose principalement sur des principes d’immatriculation foncière qui excluent les formes traditionnelles de gestion des terres. Or, près de 75 % des terres rurales sont régies par des systèmes coutumiers.
Simplification des procédures d’immatriculation : Les démarches administratives actuelles sont trop complexes et coûteuses. Le Ministère camerounais des Domaines, du Cadastre et des Affaires Foncières indique que le coût moyen d’un titre foncier représente près de six mois de revenu pour une famille rurale, rendant l’accès à la propriété foncière quasiment inaccessible pour les femmes.
Renforcement de la participation des femmes dans la gouvernance foncière : La participation des femmes à la gouvernance foncière au Cameroun reste marginale, en grande partie en raison de leur faible représentation dans les instances territoriales décentralisées. Cette sous-représentation limite leur influence sur les décisions foncières et entrave leur capacité à défendre leurs droits d’accès à la terre.
Au Cameroun, les femmes occupent moins de 10 % des postes exécutifs dans les administrations locales, malgré leur rôle central dans la gestion des ressources naturelles et agricoles. Cette exclusion institutionnelle freine l’intégration de perspectives inclusives dans les politiques foncières, perpétuant les inégalités d’accès aux terres et aux titres fonciers sécurisés.
Mise en place d’un fonds de compensation et de redistribution foncière : Dans plusieurs pays africains, comme au Burkina-Faso et au Mozambique, des programmes de redistribution foncière ont permis de renforcer la sécurité foncière des femmes et d’améliorer leur résilience économique et sociale.
Au Cameroun, où l’accès aux titres fonciers reste limité pour les populations rurales, une approche similaire pourrait être envisagée. Une réforme efficace passerait par la reconnaissance légale des régimes fonciers coutumiers, la simplification des procédures d’immatriculation et l’intégration des femmes dans les instances de gouvernance territoriale. De plus, la mise en place de fonds de compensation pour les communautés affectées par l’accaparement des terres permettrait de limiter les conflits et de sécuriser les droits des populations rurales les plus vulnérables.
L’urgence d’une gouvernance foncière inclusive au Cameroun
L’accès sécurisé des femmes aux terres dans la plaine inondable de Waza-Logone dans la région de l’extrême-nord, ne relève pas seulement d’une question d’équité, mais constitue un levier stratégique pour le développement rural et la résilience climatique sur l’étendue du territoire camerounais. Dans cette région, où les cycles hydrologiques deviennent de plus en plus imprévisibles, la raréfaction des terres cultivables intensifie la compétition pour l’accès aux ressources, aggravant les inégalités préexistantes.
Une telle disparité dans les droits fonciers freine considérablement le développement. Selon une étude de l’OCDE publiée en 2017, un accès égal aux terres pourrait augmenter la production agricole de 2,5 à 4 %, favorisant la croissance économique et réduisant la malnutrition. Pourtant, au Cameroun, les obstacles à l’immatriculation foncière et l’exclusion des femmes des instances de gouvernance territoriale continuent de ralentir ces avancées.
De plus, les terres arables en Afrique représentent 60 % des surfaces non cultivées à l’échelle mondiale, constituant une richesse convoitée par des multinationales qui exploitent ces ressources sans garantir un développement équitable pour les populations locales. Au Cameroun, où l’accaparement des terres par des acteurs privés et agro-industriels est en pleine expansion, des réformes foncières s’imposent pour sécuriser les droits des communautés rurales et éviter une marginalisation accrue des femmes.
Une gouvernance foncière plus inclusive ne se limite pas à garantir l’égalité juridique : elle implique une réforme structurelle qui reconnaît les régimes fonciers coutumiers, simplifie les procédures d’immatriculation et renforce la présence des femmes dans les instances décisionnelles. Des initiatives comme les programmes de redistribution foncière mis en place dans certains pays africains ont démontré que ces stratégies peuvent significativement améliorer l’accès des femmes aux terres agricoles et renforcer la souveraineté économique.
Face aux crises multiples, le Cameroun est aujourd’hui à un tournant décisif dans sa trajectoire de développement. Une interrogation, supposée guider toutes les démarches autour de la gouvernance foncière, se met en érection : comment structurer une gouvernance foncière qui protège les droits des populations locales tout en sécurisant les ressources agricoles face aux pressions économiques et climatiques ?
Baltazar ATANGANA
noahatango@yahoo.ca