Des femmes d’Afrique affirment leur soutien aux populations d’Apouh face aux exactions de la Socapalm
Venues de six pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre, une délégation de femmes leaders communautaires a séjourné dans la localité d’Apouh à Ngoh dans la Sanaga maritime au Cameroun. L’objectif de cette visite de solidarité est entre autres d’amplifier la voix de ces populations dans la lutte qu’elles mènent contre l’envahissement de leurs terres ancestrales par la Société camerounaise des palmeraies (Socapalm), une filiale de la Société financière des Caoutchoucs (Socfin).

« Ici repose Yatjecketite Etienne. Zone protégée par la famille Mine Jérôme en collaboration avec la Socapalm. Respectons cet environnement… ». La découverte de cette plaque commémorative près de la tombe du tout premier chef du village Apouh à Ngoh dans la Sanaga Maritime, région du Littoral, soulève l’indignation des riverains et d’une délégation de femmes de six pays (Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Congo Brazzaville, Sénégal, Niger, Cameroun) en visite de solidarité dans cette localité, le vendredi 8 aout 2025. A Apouh, les populations sont aux prises depuis plusieurs années avec la Société Camerounaise des Palmeraies, filiale de la Société financière des Caoutchoucs (Socfin). Ces visiteurs viennent des régions également touchées par les projets dits de développement en Afrique de l’Ouest et du Centre notamment : l’exploitation minière, la monoculture ou agro-industrie, les barrages, etc. « Cette plaque a été certainement implantée dans la nuit », suppose un riverain en insistant sur la fraîcheur et la qualité sommaire du béton qui maintien tant bien que mal le poteau en place.
Face à cet acte que tous qualifient de profanation, Madeleine Mbondji, une riveraine, ne peut retenir ses larmes. Bien avant cette descente sur le terrain, cette femme a exposé aux consœurs du Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Congo Brazzaville, Sénégal, Niger et d’autres localités du Cameroun, l’angoisse, la terreur des populations face au mastodonte qu’est la Socapalm dans sa boulimie de terres. « A Apouh, nous n’avons plus de vie. Nous sommes asphyxiés. La Socapalm a tout envahi. Elle nous rend la vie impossible », s’est-t-elle plainte. Ajoutant que cette compagnie est soutenue dans son activité dévastatrice par l’administration locale. « C’est un choc ! Les mots me manquent. Où normalement sont censés reposer en paix des êtres, il y a une exploitation de palmeraie. La famille n’est même pas informée que la société est venue déposer une plaque. Même le chef du village n’est pas informé. C’est une histoire qui nous touche. On a en face une société qui devrait développer le pays, mais qui profane plutôt les tombes. Ce n’est pas bien. Une tombe est sacrée. C’est vraiment désolant », commente Ramma Samanou de la Commission justice et paix du Congo Brazzaville.

« La situation à Apouh est précaire. Nous vivons dans les flammes de feu au côté de la Socapalm. On ne sait plus à quel saint se vouer », a souligné Etamane Etamane, notable et représentant du chef du village au cours d’une rencontre dans une salle aménagée au sein de la chefferie. Les griefs contre la compagnie sont nombreux et multiformes, allant de l’occupation de l’espace vital à la pollution de l’air et de l’eau en passant par la destruction des infrastructures. A l’occurrence la dégradation complète du pont sur la rivière Mabane et le refus de le réparer. Contraignant les populations à de long détour pour rallier le peu de terre cultivable qui leur reste. « Le flambeau que vous portez est notre espoir », a indiqué le représentant du chef à l’attention de la délégation des femmes conduite par véronique Mbole, représentante de Green Development Advocates (GDA). « Les femmes d’Apouh sont un symbole de la résilience voire de la résistance de la femme dans la lutte qu’elle mène pour la survie. Nous sommes venues amplifier leur voix dans cette lutte contre l’accaparement des terres communautaires », explique véronique Mbole.
Cette visite de soutien à Apouh clôture un atelier d’échange d’apprentissage et de solidarité qui s’est déroulé du 03 au 09 Aout 2025 à Kribi. Organisé par GDA en collaboration avec Women and Mining (Womin), cette rencontre a permis d’outiller les femmes leaders de communautés dans la défense de leurs droits face à l’impact souvent dramatique des projets de développement. « Nous sommes solidaires des femmes d’Apouh. Parce que nous avons été victimes du barrage hydroélectrique de Natchigal. On a eu plus de chance. On a bénéficié très tôt du soutien de GDA et Womin. Maintenant la femme Batchenga peut dire oui à ce qui lui revient de droit ou non à ce qui ne l’intéresse pas », confie Agnès Sylvie Ndzié, habitante de Batchenga.
« Je suis venue dire à mes sœurs d’Apouh qu’elles ne dorment pas. Qu’elles réclament leurs droits. En ce qui me concerne, je ne suis plus frustrée. Même si on m’envoie devant le président de la République, je suis capable de m’exprimer ; de lui présenter nos problèmes ; de revendiquer mes droits », poursuit-elle. « Nous devons continuer la lutte pour atteindre nos objectifs. Les problèmes sont sérieux, douloureux. Ça ampute quelque chose à notre existence, à notre histoire. Nous savons que nous n’allons pas forcément jouir des fruits de ce combat. Mais il faut continuer pour les générations à venir », renchérit Doline Gbalou de la Côte d’Ivoire.
Nadège Christelle BOWA