Financement climatique des Femmes : l’Afrique peut (vraiment) mieux faire
Les femmes d’Afrique centrale et de l’Ouest portent chaque jour la résilience face au dérèglement climatique. Elles inventent des solutions locales, elles maintiennent la cohésion sociale, elles protègent les ressources vitales. Pourtant, lorsqu’il s’agit de financements, elles restent en marge. Les chiffres mondiaux révèlent une fracture persistante entre les promesses et la réalité. Analyse.

Quand les femmes portent la résilience mais disparaissent des chiffres
Dans les villages du Sahel et les forêts du bassin du Congo, les femmes assurent la survie des communautés. Elles gèrent l’eau, cultivent des sols fragiles, protègent les forêts et expérimentent des alternatives énergétiques. Pourtant, leur rôle ne se traduit pas dans les flux financiers. La Banque africaine de développement estime que l’Afrique a reçu 43,7 milliards de dollars de financements climatiques en 2022, soit une progression notable mais qui ne couvre que 3 % des besoins annuels évalués à 250 milliards (Banque africaine de développement, 2022). Le Forum Économique Mondial rappelle que le continent aura besoin de 2,5 à 2,8 trillions de dollars d’ici 2030 pour financer sa transition (Forum Économique Mondial, 2025). Dans cette enveloppe déjà insuffisante, la part qui parvient directement aux organisations féminines locales est infime, souvent inférieure à 1 %.
Cette invisibilité statistique traduit une marginalisation structurelle. Les femmes sont reconnues comme victimes du climat, mais rarement comme partenaires stratégiques. Elles sont invitées aux panels, mais absentes des comités de décision. Elles produisent des plaidoyers, mais leurs voix sont reléguées dans les annexes des rapports.
Des promesses internationales qui s’essoufflent dans la mise en œuvre
Depuis l’Accord de Paris en 2015, l’égalité de genre est inscrite dans les textes. Le Programme d’action de Lima et le Gender Action Plan renforcé à Madrid en 2019 ont posé des bases solides. La COP30 de Belém en 2025 a réaffirmé que l’inclusion des femmes est une condition de l’efficacité climatique. Pourtant, la traduction concrète reste faible. Les financements annoncés ne sont pas fléchés vers les organisations féminines locales. Les rapports du GIEC documentent davantage les réalités de l’Afrique de l’Est ou australe, laissant l’Afrique centrale et de l’Ouest dans l’ombre.
Les exemples nationaux illustrent cette fracture. Au Mali, l’absence de financements adaptés menace directement les communautés rurales (Banque Mondiale, 2024). Au Niger et au Burkina Faso, les projets financés par le Fonds vert pour le climat restent concentrés sur des programmes étatiques, avec peu de retombées directes pour les associations féminines. En Côte d’Ivoire, les coopératives de femmes engagées dans l’agroforesterie peinent à accéder aux guichets internationaux, faute de capacités institutionnelles et de procédures simplifiées. Au Cameroun, les réseaux féminins actifs dans la gestion des forêts communautaires dénoncent la complexité des mécanismes financiers, qui favorisent les grandes ONG internationales au détriment des acteurs locaux.
Repenser le financement pour que les voix féminines comptent
Il est urgent de dépasser les promesses et d’ancrer l’égalité de genre dans des mécanismes contraignants. La Banque Mondiale a rappelé en 2025 que l’intégration systématique des critères de genre dans les financements climatiques est indispensable pour atteindre les ODD 5 et 13. Cela suppose des quotas de financement dédiés, une simplification des procédures d’accès et une reconnaissance institutionnelle des réseaux féminins comme partenaires incontournables.
Sans ces réformes, l’Afrique centrale et de l’Ouest restera en marge des débats mondiaux. Les femmes continueront à porter seules le poids de l’adaptation, sans moyens pour transformer leur expertise en politiques durables. Pourtant, leur inclusion n’est pas une faveur, mais une condition de l’efficacité et de la durabilité des financements.
L’Afrique face à son propre défi
Le financement climatique et l’égalité de genre en Afrique peuvent vraiment mieux faire. Les chiffres révèlent une fracture criante entre les besoins et les ressources, entre les promesses et la réalité. Les femmes, premières victimes mais aussi premières actrices de la résilience, doivent passer du statut de bénéficiaires invisibles à celui de partenaires stratégiques.
Ce défi est d’abord continental. L’Afrique ne peut se contenter de dépendre des flux financiers internationaux, souvent imprévisibles et conditionnés. Elle doit inventer ses propres mécanismes régionaux, renforcer ses banques de développement et créer des fonds souverains capables de flécher des ressources vers les organisations féminines. Le Nigéria, par exemple, a lancé en 2024 un fonds national pour l’énergie renouvelable, mais sans volet spécifique genre. Le Ghana a expérimenté des financements communautaires pour l’agriculture durable, mais les femmes y accèdent encore difficilement. Ces initiatives montrent que la volonté existe, mais qu’elle doit être structurée et amplifiée.
Ce défi est aussi politique. Les gouvernements doivent reconnaître que l’égalité de genre n’est pas une variable secondaire, mais une condition de l’efficacité des politiques climatiques. Les bailleurs doivent accepter que les financements ne peuvent rester concentrés sur les grandes institutions, mais doivent irriguer les réseaux locaux. Les institutions régionales, comme la CEDEAO ou la CEEAC, doivent intégrer systématiquement la dimension genre dans leurs stratégies climatiques.
Enfin, ce défi est humain. Derrière les chiffres, il y a des femmes qui portent la survie de leurs communautés. Des agricultrices au Burkina Faso qui expérimentent des semences résistantes à la sécheresse. Des pêcheuses au Sénégal qui inventent des pratiques durables face à la montée des eaux. Des activistes au Cameroun qui défendent les forêts communautaires contre la déforestation. Leur expertise est précieuse, leur voix est légitime, et leur accès aux financements est une condition de la crédibilité des politiques climatiques.
L’Afrique peut vraiment mieux faire, mais elle doit le vouloir. Elle doit transformer les promesses en mécanismes concrets, les engagements en financements directs, les discours en politiques inclusives. Car il n’y aura pas de transition crédible sans que les femmes soient pleinement reconnues comme actrices et partenaires. Le climat impose une urgence, et cette urgence est aussi celle de l’égalité, sans laisser personne de cote.
Baltazar ATANGANA, expert genre
noahatango@yahoo.ca



