WASH

Genre et gouvernance du WASH au Cameroun : mettre les femmes au centre du système

Au Cameroun, la gouvernance de l’eau et de l’assainissement reste prisonnière d’une logique technocratique qui invisibilise les rapports de pouvoir et les inégalités de genre. Alors que le pays s’engage dans une réforme ambitieuse du secteur WASH, les femmes — premières gestionnaires de l’eau au quotidien — demeurent toujours marginalisées dans les espaces de décision. Cet article, co-signé par Baltazar ATANGANA (gender specialist), Ing. Cynthia MBIDA (WASH specialist) et Monique DAOKAI (VBG Specialist), propose une lecture critique du système, en croisant les données nationales et internationales, les enjeux de genre, et les leviers d’une gouvernance transformatrice.

Une crise hydrique genrée, amplifiée par les vulnérabilités territoriales

Le Cameroun affiche des disparités criantes en matière d’accès à l’eau et à l’assainissement. Selon UNICEF Cameroun, 70 % de la population a accès à une source d’eau potable, mais ce taux chute à 52 % en milieu rural. L’accès à des installations sanitaires de base ne concerne que 43 % de la population, avec un écart marqué entre les zones urbaines (58 %) et rurales (22 %). Ces chiffres, déjà préoccupants, masquent une réalité encore plus grave dans les régions en crise : en 2023, près de 1,8 million de personnes avaient besoin d’un accès vital aux services WASH dans les zones affectées par les conflits et les chocs climatiques, selon le rapport OCHA du 21 mars 2024.

Dans ces contextes, les femmes et les filles sont les premières exposées. Elles assurent la collecte de l’eau, la gestion de l’hygiène familiale, et la prise en charge des malades, souvent dans des conditions précaires. Le temps consacré à ces tâches — jusqu’à cinq heures par jour en zone rurale — constitue un frein majeur à leur scolarisation, leur santé, leur autonomie économique et leur participation civique. Cette charge invisible est rarement prise en compte dans les politiques publiques, qui continuent de traiter l’eau comme une ressource technique plutôt qu’un vecteur de justice sociale.

À l’échelle mondiale, le rapport JMP 2023 de l’OMS et de l’UNICEF révèle que 2,2 milliards de personnes n’ont pas accès à une eau potable gérée en toute sécurité, et 3,5 milliards n’ont pas accès à des services d’assainissement sûrs. Ces chiffres traduisent une crise structurelle, où les inégalités de genre aggravent les vulnérabilités hydriques. Pourtant, seuls 53 pays disposent de données sur au moins un indicateur menstruel, dont trois quarts sont des pays à revenu faible ou intermédiaire — le Cameroun n’en fait pas partie.

Réformes nationales : entre ambitions techniques et défis de mise en œuvre

La Politique Nationale de l’Eau (PNE), adoptée en avril 2025, promet une couverture universelle en milieu urbain et 85 % en zone rurale d’ici 2030. Elle s’inscrit dans la Stratégie Nationale de Développement 2020–2030 (SND30), qui reconnaît le genre comme levier transversal. Mais cette reconnaissance reste largement théorique. Les outils de planification ne sont pas systématiquement ventilés par sexe, les indicateurs menstruels sont absents, et les mécanismes de redevabilité sont faibles. Les Plans Communaux de Développement (PCD), pourtant stratégiques, n’intègrent pas encore une lecture croisée du genre et de l’environnement, ni des dispositifs de suivi participatif.

Le programme structurant lancé par la Banque mondiale en mai 2025 — doté de 200 millions USD pour étendre les services à 3,9 millions de personnes — intègre une composante genre. Mais sa réussite dépendra de la capacité des acteurs à traduire cette intention en mécanismes opérationnels : comités mixtes, audits communautaires, indicateurs d’impact désagrégés, et dispositifs de redevabilité territoriale. Le guide GESI d’IRC insiste sur la nécessité de produire des indicateurs genrés dès les phases de diagnostic, et de systématiser l’évaluation des effets différenciés des projets.

Dans les établissements de santé, la situation est tout aussi préoccupante. Le rapport 2024 sur le WASH dans les structures sanitaires indique que 42 % des centres de soins dans les pays à revenu faible n’ont pas d’accès à l’eau potable. Au Cameroun, les violences contre les infrastructures de santé dans les régions du Nord-Ouest, du Sud-Ouest et de l’Extrême-Nord ont aggravé l’accès aux services essentiels. En 2023, au moins 16 incidents de violence contre les services de santé ont été recensés.

Vers une gouvernance transformatrice qui ancre le genre dans les systèmes

Repenser le WASH au Cameroun, c’est rompre avec les logiques linéaires et technocratiques qui ont trop longtemps cantonné les femmes à des rôles périphériques. Il ne s’agit pas d’ajouter une couche « genre » aux politiques existantes, mais de reconfigurer les fondations mêmes de la gouvernance sectorielle : planification, financement, suivi, redevabilité. Les femmes doivent être reconnues non comme bénéficiaires passives, mais comme architectes du système — conceptrices, gestionnaires, innovatrices.

Cela suppose une refonte des parcours professionnels : des filières de formation repensées pour intégrer les enjeux de genre et de durabilité, des bourses ciblées pour les jeunes femmes en ingénierie sanitaire, en gestion des ressources hydriques, en économie circulaire. Il faut aussi ouvrir les portes des structures publiques et privées à leur expertise, en créant des mécanismes d’insertion professionnelle qui ne soient pas anecdotiques mais structurants.

Sur le terrain, des milliers de femmes portent déjà des solutions radicales — dans l’assainissement écologique, la gestion des déchets, l’hygiène menstruelle — souvent en dehors des radars institutionnels. Ces initiatives, bien que informelles, sont des laboratoires d’innovation sociale. Elles réinventent les normes, déplacent les frontières entre public et privé, et créent des modèles de résilience territoriale. Les ignorer, c’est passer à côté d’une intelligence collective précieuse.

Le programme WASH de l’UNICEF Cameroun met en lumière le rôle des femmes dans la gestion communautaire de l’eau et de l’hygiène, notamment dans les régions du Nord, de l’Adamaoua et de l’Extrême-Nord, où elles sont mobilisées pour améliorer l’accès aux services dans les écoles et les centres de santé. L’organisation souligne que 17 % des filles manquent l’école chaque mois faute de dispositifs adaptés à l’hygiène menstruelle, et que les femmes sont les premières promotrices de solutions locales dans les zones à forte vulnérabilité.

Il est donc urgent de créer des fonds territoriaux cogérés, ancrés dans les collectivités locales, capables de capitaliser ces pratiques et de les faire monter en puissance. Ces fonds ne doivent pas se contenter de financer des projets, mais de reconnaître et d’institutionnaliser des savoirs situés, des formes d’organisation alternatives, des économies de proximité. C’est à cette condition que le WASH pourra devenir un levier de transformation sociale, et non un simple service technique.

Ing. Cynthia MBIDA, WASH Specialist, cynthiambida@gmail.com

Baltazar ATANGANA, Gender Specialist, noahatango@yahoo.ca

Monique DAOKAI, VBG Specialist, daokaim@gmail.com

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