Mines et énergies

Barrage de Lom-Pangar: Du développement aux vagues du désespoir…

À Bandja dans l'arrondissement de Nsem et les villages voisins, l'espoir de développement promis par ce puissant barrage hydro-électrique s'est transformé en calvaire pour les habitants subjugués entre inondations, pertes agricoles et désarroi économique. Réactions des populations riveraines.

Précédemment publié dans Le Messager du 30 juillet 2025

Partis de Yaoundé tôt le matin du 21 juillet 2025, nous avons entrepris un périple éprouvant vers Bandja, un village enclavé situé dans l’arrondissement de Nsem, département de la Haute-Sanaga, région du Centre. Pour parcourir les 90 kilomètres séparant Nanga-Eboko de Bandja, il nous a fallu quatre heures de route, oscillant entre chaos et témérité. Les villages Ouassa-Bamvelé, Ekong, Mpela Ezing s’égrènent sur ce chemin de terre jonché de ponts de fortune faits de planches branlantes et de bois fissurés. Une route au bord de l’effondrement, attendant désespérément un utopique revêtement. Situé à moins de 100 mètres du fleuve Sanaga, Bandja semble pourtant coupé du monde. Vivre ici, c’est affronter au quotidien les séquelles d’un projet qui devait incarner un progrès national : le barrage hydroélectrique de Lom-Pangar. Mis en service en 2017 dans la région de l’Est, ce barrage, qui retient près de 6 milliards m3 d’eau, avait pour ambition de régulariser le débit du fleuve Sanaga, optimiser la production d’électricité des infrastructures en aval et, à terme, transformer l’économie fluviale.

Désastre environnemental et humain

Mais pour les populations locales, ce rêve d’expansion énergétique a viré au cauchemar. « Avant, nous vivions de la pêche. Mais aujourd’hui, avec les lâchers d’eau du barrage, le niveau du fleuve est devenu imprévisible. Les poissons ont presque disparu, et nous avons peur pour nos pirogues quand l’eau monte brutalement. Nous ne savons plus comment nourrir nos familles », déplore André Ndome, pêcheur. Les inondations fréquentes provoquées par la gestion des eaux du barrage ont détruit des hectares de plantations entières.« Tout ce que nous plantons est emporté par l’eau. Les champs ne sont plus cultivables. Et quand l’eau se retire, elle laisse derrière elle des sols gorgés d’eau, inutilisables. À cela s’ajoutent les moustiques qui envahissent le village et nous rendent malades », raconte Sandrine Ndome, cultivatrice. Ce désastre environnemental et humain découle, selon des experts, de l’absence d’études d’impact environnementales en aval du barrage avant sa construction. Les premiers déversements d’eau, non maîtrisés, ont bouleversé les écosystèmes et les activités locales. Les pêcheurs, les cultivateurs, et même les creuseurs de sable, activité autrefois florissante, peinent à poursuivre leurs travaux.

La situation n’est pas meilleure dans les villages voisins. À Yélé, dans l’arrondissement de Nanga-Eboko, les habitants subissent les mêmes désastres. L’agriculture et la pêche y sont également en crise. Les femmes, autrefois autonomes, dépendent désormais des hommes pour traverser la Sanaga en pirogue. « Avant, nous pouvions aller seules au champ. Aujourd’hui, c’est devenu trop dangereux. La Sanaga est imprévisible », confie Yvone Assengue. Les impacts socio-économiques de ce projet sont tels que la colère gronde. D’après les informations obtenues chez les riverains, le maire de Nsem a déjà interpellé sans succès le Directeur général de l’Electricity development corporation (Edc). Les habitants, eux, réclament justice et des solutions durables. « Nous ne voulons pas quitter nos terres, mais nous ne pouvons plus vivre comme ça », martèle André Ndome.

Négligence systémique

Certains évoquent déjà des relocalisations forcées, mais les populations exigent avant tout des compensations, des infrastructures adaptées et des mesures pour restaurer leurs moyens de subsistance. Le barrage de Lom Pangar, symbole de modernité énergétique pour le Cameroun, révèle ainsi l’écart criant entre les ambitions nationales et les réalités locales. Le projet était censé améliorer les conditions de vie des camerounais, mais pour les milliers de riverains de la Sanaga, il n’a apporté que désolation. Les associations comme Dypadel, en collaboration avec Sylad, se battent aujourd’hui pour la reconnaissance des droits de ces populations. Elles plaident pour que les impacts environnementaux et sociaux soient pleinement pris en compte, et que les villages comme Bandja, Yélé ou Mpela Ezing ne soient plus les oubliés du développement. Ce drame, fruit d’une négligence systémique, appelle à une prise de conscience urgente des décideurs. Le Cameroun ne peut sacrifier ses citoyens sur l’autel du progrès. Les pêcheurs, cultivateurs et creuseurs de sable de la Haute-Sanaga méritent que leurs voix soient entendues et leurs droits respectés.

Michel NONGA de retour de la Haute-Sanaga  

Réactions

François Sandjom, Chef de 3e degré du village Mandjouck (Bandja)

« Il faut que le gouvernement trouve des solutions »

« Avant la construction du barrage de Lom-Pangar, les pêcheurs pouvaient aller à l’eau à n’importe quelle heure, et le poisson était abondant. Aujourd’hui, le cours de la Sanaga a changé, et le poisson, auquel nous avions accès à tout moment, se fait rare. En plus de cela, nos champs sont situés de l’autre côté du fleuve Sanaga, et traverser est devenu très difficile. Dès que l’eau est lâchée depuis le barrage de Lom-Pangar, si les pirogues sont restées au bord du fleuve, elles sont emportées par le courant, avec parfois des jeunes filles qui allaient pêcher. Nous faisons face à toutes ces difficultés, et en plus, de nouveaux insectes sont apparus. Ils nous piquent et nous démangent, alors que cela n’existait pas avant. Il faut que le gouvernement trouve des solutions pour que nous puissions retrouver la vie que nous menions autrefois. Parmi les solutions que nous proposons : peut-être que l’État pourrait envisager de nous reloger ailleurs. Mais cela serait difficile, car nos parents et grands-parents sont enterrés ici. Si toutefois le gouvernement décide de nous déplacer, qu’il le fasse dignement. Et si nous devons rester, qu’il améliore au moins notre sécurité. Quant aux creuseurs de sable et aux agriculteurs, l’État pourrait les accompagner en leur offrant d’autres sources de revenus. »

Elsa Mbatomé, porte-parole des femmes du village Bandja

« Les  femmes rencontrent de multiples difficultés »

« Depuis la construction du barrage de Lom-Pangar, les femmes rencontrent de multiples difficultés. Avant Lom-Pangar, une femme pouvait prendre seule la pirogue et se rendre au champ. Aujourd’hui, ce n’est plus possible : il faut nécessairement la présence du père de famille ou d’un garçon pour aider la maman à traverser la Sanaga avec la pirogue afin de se rendre aux champs. Nous survivons grâce à ces champs situés de l’autre côté du fleuve. Le rythme de vie a changé. L’élan que nous avions auparavant n’est plus le même aujourd’hui, après Lom-Pangar. Actuellement, la Sanaga est devenue polluée ; nous ne pouvons plus consommer son eau. Nous sommes désormais obligés de parcourir au moins 5 kilomètres pour avoir de l’eau potable. Nous proposons que des pirogues soient mises en hauteur afin de faciliter les déplacements vers les champs et en revenir plus rapidement, car il peut nous arriver de passer une semaine entière sans pouvoir nous y rendre. Et vous savez qu’au village, si l’on ne va pas au champ, on risque de mourir de faim. Nous suggérons également que des formations à l’élevage nous soient dispensées pour atténuer un tant soit peu cette difficulté. Nous pouvons nous lancer dans l’élevage, mais aussi développer de petites activités commerciales. »

Naple Meliki Lapensée, creuseur de sable

« On n’arrive plus à avoir une bonne quantité de sable »

« Dans notre activité de creuseurs de sable, nous souffrons aujourd’hui. On n’arrive plus à avoir une bonne quantité de sable comme avant, et la clientèle a diminué. Nous travaillons davantage, mais pour moins de résultats. Avant, je prélevais le sable à quelques mètres seulement du bord de la Sanaga. Maintenant, il faut aller à des dizaines de mètres au milieu du fleuve, puis transporter le sable très loin du rivage, car il peut y avoir des inondations à tout moment, et le sable extrait risque d’être emporté à nouveau. Autrefois, je pouvais remplir cinq camions de sable en une semaine. Aujourd’hui, c’est devenu impossible. Par conséquent, le prix du camion de sable a augmenté, et les clients se font de plus en plus rares. Dans mes champs aussi, je fais face à des difficultés. De nouveaux insectes, notamment les capsides, sont apparus, et nous ne savons pas comment les traiter. Cela fait des années que nous vivons ce calvaire, et les autorités gardent le silence. Nous demandons aux autorités d’installer des panneaux de signalisation pour nous avertir lorsque l’eau est lâchée du barrage, afin de prévenir les risques. Nous demandons également à être aidés avec du matériel moderne pour l’extraction du sable, car cela devient de plus en plus difficile de le faire manuellement. »

Propos recueillis par M.N.

 

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